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Le pavillon du manga et de la BD
14 janvier 2007

Japon, collectif chez Casterman

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Paru dans la collection « Ecritures » de Casterman, voici un collectif regroupant 17 auteurs de BD/manga. Ce projet initié par Frédéric Boilet, auteur français installé au Japon propose 16 récit ou vision du Japon. 8 par des auteurs de BD francophones, 8 par des mangaka. Les auteurs français ont été invités au Japon, et à séjourner chacun dans une ville différente afin de présenter une « cartographie  bdèsque » de l’archipel. Chacun évoque ainsi sa rencontre avec un lieu du Japon, une ville ou une région, un souvenir parfois pour les auteurs « locaux ». Ce projet a ainsi été publié simultanément dans les deux pays. Les auteurs contactés relèvent plus ou moins, en plus de quelques « grands noms » d’une nouvelle génération d’auteurs : nouvelle BD chez nous, « nouvelle manga » au Japon. A la marge de l’image commerciale, et donc de la caricature du manga. Ce recueil a reçu, première pour un ouvrage ayant des auteurs non japonais, le prix spécial de la Japan Cartoonists Association.

Mais la principale rencontre est celle produite par le recueil lui-même : ces regards multiples, divers sans être divergents sur un archipel, une culture, une population marqués d’emblée par la fragmentation et l’étoilement. L’impression d’ensemble est très forte, et se côtoient dans le collectif aussi bien des auteurs reconnus que jeunes et débutants, et ce des deux côtés de la « frontière ». Les récits empruntent des genres très variés, du récit de voyage, à la fiction totale, en passant par l’anticipation ou le fantasme onirique. Les tons sont du coup également multiples, franchement comique tout autant que sérieux. De même pour les styles graphiques. Malgré cet aspect de patchwork l’unité fait sens, sûrement du fait de la composition du recueil, ou du choix des auteurs. L’on « voyage » pleinement tout au long de ces courts récits dessinés. Un même esprit nous tient de bout en bout. Tout d’horizon des auteurs et de leurs récits. Chaque histoire est précédée d’une présentation de son auteur, et une carte figure le lieu qui a inspiré le récit. Les illustrations, faute de scanner, sont une fois de plus piochées sur la toile.

Kan Takahama, Au bord de la mer, Amakusa
Un joli dialogue au bout d’une jetée au bout du Japon, entre un français et une japonaise. Ca parle de parents marins bretons, d’ancêtres pirates, de fantômes, et d’amour qui s’effile et s’effiloche d’un versant à l’autre du monde. La jeune auteur livre un récit d’atmosphère très beau et tendre.

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Kan Takahama

David Prudhomme, La Porte d’entrée, Fukuoka
Pendant qu’il visite le Japon, découvre nourriture et bains, ses chaussures se font la malle, sans prévenir ! aident une tortue et, soif de liberté, se jettent à l’eau. Du burlesque pour raconter les légendes, le paysage et un quotidien fugace.

Jirô Tanigushi, Ciel d’été, Tottori
On ne présente plus cet auteur qui connaît depuis quelques années un gros succès en France. Il réemploie là ses thèmes de prédilection : un moment marquant du passé, de l’enfance, s’invite à un tournant de vie du présent. Cela à travers le retour d’un jeune homme dans son village natal où il retrouve une jeune adolescente dont la présence le trouble.

Aurélia Aurita, Je peux mourir, maintenant !, Tokushima
Autant le dire directement : c’est une des grosses découvertes de ce recueil pour moi. Des dessins très simples, quasiment du crayonné très vivant qui dynamite la page, un récit très drôle, et une sensibilité qui point en permanence. J’ai vraiment beaucoup aimé.

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Aurélia Aurita

François Schuiten et Benoît Peeters, Osaka 2034

Schuiten et Peeters sont pour moi des idoles du fait de leur série des Cités Obscures. Ils proposent là des planches réalisées à la manière d’un journal parlant d’Osaka en 2034. Une anticipation assez décalé et humoristique, une vision cliché ironique du Japon. C’est assez court, et ça m’a plus donné l’impression que cela valait pour mettre ces noms dans le projet. En fait les auteurs placent ici un fragment d’un autre projet, publié dans des journaux : Les Portes du possibles dans lequel on retrouve les planches de Japon.

Emmanuel Guibert, Shin.Ichi, Kyôto
Guibert transpose dans le Japon des années 20 l’histoire de l’Atelier des Vosges qu’il fonda en 1995, et qui regroupait, outre lui-même, Blain, Boilet, Bravo, David B. et Sfar. Le récit est écrit, et illustré par des grands dessins muets. Les personnages prennent donc des noms japonais, se rencontrent, dessinent, et se séparent, Shin.Ichi partant précipitamment pour l’autre bout du monde, la France. C’est vraiment très beau.

Nicolas de Crécy, Les Nouveaux Dieux

Je suis très fan de l’univers de De Crécy, et là j’ai été servi. Le récit est assuré par un être fantasmagorique : une future icône publicitaire venue au Japon pour prendre forme, s’inspirer à partir des dieux du graphisme partout présents sur tous les murs, néons,affiches et produits au Japon. Il est rejoint par son manager compte profiter du voyage quand notre forme s’angoisse de ce qui pour elle est voyage de travail. Les nouveaux dieux sont ceux qui gouvernent la consommation, les images qui font vendre.

Taiyô Matsumoto, Kankishi, Kanagawa
Belle découverte là encore. De grandes illustrations accompagnées par un récit simple : un jeune garçon ne veut que dessiner, et reste mutique. Accompagné d’un chien, rejeté là il passe, il erre. Ses dessins prennent vie et lui assurent finalement une reconnaissance, jusqu’à ce qu’il décide d’aller voir plus loin encore.

Joann Sfar, Le Tôkyô de Oualtérou, Tôkyô
Comme d’habitude avec Sfar, du très très bon. Il se promène dans Tokyo en compagnie d’un ami qui vit au Japon, « Oualterou », et laisse celui-ci raconter à sa façon, désopilante et désenchantée, son pays d’adoption. Le style graphique est habituel, sauf qu’il adopte une la représentation des personnages par l’animalier, emprunt à Trondheim certainement, absent du volume. La référence pourrait être prolongée : Sfar se dessine en crocodile, et « Oualterou » sonne comme la prononciation nipponne de « Walter », titre d’un épisode de Lapinot où l’on trouve un croco comme personnage principal… Toujours un mélange subtile de fiction et de réalité, brassées, mélangées pour faire un récit, drôle et fin.

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Joann Sfar

Little Fish, Le Tournesol, Tôkyô
Récit onirique en 6 cases par planches, muettes. Un couple au matin, et l’homme qui voit un tournesol lui pousser au niveau du nombril. La distribution du dessin dans les cases est très réussie, et une véritable poésie se dégage de l’histoire.

Moyoko Anno, Le Chant des grillons, Tôkyô
Court récit en 6 planches à fond noir illustré de motifs traditionnels. Une petite fille à la recherche de grillons. Un Japon traditionnel avec Kimono et échoppes en bois dans des ruelles. Une sorte d’haïku en bande dessinée.

Frédéric Boilet, Dans la ruelle Amour, Tôkyô
Initiateur du projet, co-fondateur de l’atelier des Vosges, installé au Japon, et passerelle entre la France et le Japon (adaptation de Tanigushi pour la France, de Sfar pour le Japon), Boilet livre ici un récit qui fait écho à celui de Aurélia Aurita. C’est son regard sur le séjour de la jeune auteur chez lui à Tôkyô, après la version qu’elle en a livré elle. Des images de la banalité urbaine se resserre autour de l’appartement de Boilet, accompagnées par un discours du personnage sur les détails de la culture nipponne. Petit à petit l’intime transparaît derrière ce bruit de fond et ces clichés, au profit d’autres clichés, photographiques, redessinant l’espace de la page.

Fabrice Neaud, La Cité des arbres, Sendaï
Une autre découverte pour moi. Auteur de bande dessinée autobiographique, Neaud produit ici le journal de son séjour au Japon, sa découverte du pays. Beaucoup d’observations de détails du quotidien, d’éléments insolites propres à cette culture nouvelle. Mais en toile de fond une obsession amoureuse, la hantise d’un absent. Et la mise en lumière d’un aspect social et politique au Japon : la place et la visibilité de l’homosexualité, l’espace qui lui est accordé dans la société.

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Fabrice Neaud

Daisuké Igarashi, La Fête des chevaux-grelot, Iwate

Durant une fête traditionnelle, dans un Japon « médieval », un enfant rentre dans une fantasmagorie où il est poursuivi par des démons. La représentation du rêve et de la réalité, le passage de l’un à l’autre sont extrêmement bien réalisés. L’on est comme happé par les jeux sur les blancs et les noirs, et une double page magnifique subjugue le regard.

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Daisuké Igarashi

Kazuichi Hanawa, Dans la forêt profonde, Sapporo
Encore une découverte, et d’un auteur apparemment reconnu au Japon, représentant d’une pratique « underground » du manga. Ici le récit est très sobre, et relate un parcours sur un sentier de montagne. Divinités et nature se partagent les pages, et le narrateur, entre spiritualité et réflexion, raconte la rencontre furtive avec une jeune femme allant prier malgré une tempête de neige.

Etienne Davodeau, Sapporo Fiction, Sapporo
Je ne connaissais cet auteur que de nom, et ce fut une vraie belle découverte pour moi. Davodeau met là en scène un récit où le narrateur est un Japonais de 60 ans sortant de l’hôpital et décidé à aller rendre visite à son frère jumeau. En chemin il rencontre un dessinateur français, et tous deux font le trajet ensemble jusqu’à Sapporo. Ils communiquent par gestes et dessins, et le Japonais initie le français à la culture nipponne, jusqu’à la rencontre avec le frère jumeau… Un récit très drôle, et très beau, tout simplement.

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Etienne Davodeau

Voilà ! Le Japon vient ainsi d’être parcouru par ces bd/manga de sa pointe sud à sa point nord, ville après ville, paysage après paysage, expérience après expérience. J’espère que cela vous a donné envie de découvrir le volume. Non seulement j’ai trouvé l’ensemble de très très bonne qualité, mais il m’a permis de découvrir des auteurs pour moi complètement inconnus, et de les mettre en regard de « maîtres » de la bande dessinée et du manga. Un ouvrage recommandé chaudement à tous ceux curieux de voir comment la bd et le manga vivent aujourd’hui, et comment ils peuvent se rencontrer, dans l’espace et dans le temps, ce qu’ils ont à se dire, bref ce qu’il y a en commun à ce medium derrière la terminologie qui ne sépare finalement que des pratiques culturelles.

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